Comment écrire une bonne chute pour vos histoires
Si vous vous demandez comment écrire une bonne chute pour vos nouvelles ou romans, vous n’en êtes certainement pas à votre première idée d’histoire.
Ça cogite là-dedans, pas vrai ? Vous manipulez un tas d’idées, que vous avez tant bien que mal fini par agencer dans une structure narrative quelconque, mais vous voilà parvenu à la fin.
Et soudain votre histoire vous semble un casse-tête impossible à résoudre : Que deviennent vos personnages ? Cette fin sonne creux, elle est bateau, déjà vue dix mille fois…Pourtant, des chutes surprenantes, vous en avez lu, vous en avez vu et elles sont créées par des humains comme vous. Faut-il être un génie pour comprendre comment écrire une bonne chute ?
Pas du tout. Il faut simplement décrypter le fonctionnement de la chute qui fonctionne.
Mais c’est quoi au fond, le secret d’une bonne chute ?
Comment écrire une bonne chute pour vos histoires :
- Respecter l’arc narratif pour une chute logique
- Suivre le thème pour renforcer la chute
- Être surprenant grâce aux retournements de situation
- Créer une boucle temporelle
- Comment écrire une bonne chute de polar
- La descente aux enfers : la chute ininterrompue
- La dissimulation : commencer par la fin !
- Le dénouement : Honorer toutes les promesses
1. Respecter l’arc narratif pour une chute logique
Une chute a beau être surprenante, elle ne sera pas satisfaisante si elle ne respecte pas l’arc narratif du protagoniste. Eh là, vous vous dites : « T’es bien gentille Contentologue, mais tes mots savants de storytelling machin truc, je n’y comprends rien ».
C’est normal, chers petits lecteurs, j’utilise ces termes pour me la péter. Mais je vais vous expliquer et bientôt vous aussi, vous pourrez faire partie de cette élite qui parle en jargon et que tout le monde déteste envie.
Qu’est-ce qu’un arc narratif ?
Votre personnage, au début de l’histoire, est tout plein de failles. Il est nul en plein de choses, souffre sa mémé, a un passé difficile, bref, comme diraient les coachs de développement personnel, il n’est pas réalisé à son plein potentiel.
Pendant tout le roman, le personnage évolue, grâce à des épreuves, des amis, des batailles perdues ou remportées et progressivement, atteint un nouvel état.
Étudions l’arc narratif grâce à l’effroyable destinée de ce pokémon :
- Le pokémon commence sa vie sous la forme de Carapuce. Il est tout mignon et on a envie de l’avoir en peluche. Néanmoins, nous ne donnons pas cher de sa peau s’il se retrouvait dans une street-fight : il est un peu fragile et pas vraiment prêt à affronter la vie.
- Adolescent, il s’est mangé pas mal de mandales dans la tronche à cause de ses oreilles décollées en forme d’ailes de pigeon et ses potes l’ont surnommé Carabaffe. Une destinée peu enviable en somme.
- La puberté s’est mal terminée. Toute fragilité a déserté le gus et on voit qu’il a poussé à la salle de manière intensive. La journée, il vend des scooters volés et graffe son nouveau blaze Tortank sur les murs de son ancienne école maternelle. Sa mère ne sait plus quoi faire de lui.
- Représentant typique de l’échec de l’éducation nationale, Méga-Tortank ne se promène jamais sans sa mitraillette implantée subdermiquement. Comme si ça ne suffisait pas, il s’est fabriqué un blouson dont les manches sont des armes à feu. Chances de mourir jeune : 95%.
Comme vous pouvez le constater, l’arc narratif d’un personnage n’a pas à être positif. Il est un changement durable et profond qui se déroule progressivement tout au long de l’histoire.
Créer sa chute en fonction de l’arc narratif
Il est donc évident qu’avec une telle évolution, la chute d’un roman dont le protagoniste serait Carapuce ne serait pas « il se maria et eut beaucoup d’enfants ». Ici, la logique voudrait plutôt que Méga-Tortank meurt d’une balle dans une guerre de gangs.
Faites des listes de destins potentiels pour votre protagoniste et demandez-vous à chaque fois : « Est-ce que cette chute est une prolongation logique de l’arc narratif ? »
Il faut aussi que la chute soit satisfaisante pour votre lecteur : s’est-il attaché au personnage ou l’a-t-il détesté tout du long ?
Si la fin est « immorale », elle signifiera quelque chose en profondeur et c’est pourquoi l’arc narratif d’un personnage ne saurait se passer d’un bon thème :
2. Suivre le thème pour renforcer la chute
Une bonne chute doit être émouvante.
Qu’entendre par émouvant ? On utilise ce mot un peu à tort et à travers. Ici, on n’entend pas « provoquer n’importe quelle émotion », ni même « provoquer les larmes ».
Une chute émouvante, c’est une chute qui résonne
J’ai déjà traité le sujet de la résonance dans plusieurs articles, mais je vais faire un petit rappel :
La résonance, c’est le sentiment qui perdure lorsque le lecteur a fini le livre. Un peu comme la persistance pour le vin, plus le sentiment perdurera, plus la résonance sera forte.
Vous souvenez-vous de romans, nouvelles ou même de films dont l’effet a duré des jours et qui n’en finissaient pas de tourner et retourner dans votre tête ?
C’est le but d’une bonne chute.
Comment faire pour obtenir cette résonance ?
Comprenez votre thème pour obtenir une chute émouvante
Et c’est reparti avec le jargon. En plus « thème », c’est le mot le plus générique qui existe. Ils n’auraient pas pu l’appeler « méga sous-entendu profond de ses morts » ? Ben non, ça s’appelle thème. Du coup, on le confond avec thématique ou template de blog. C’est à s’y arracher les cheveux.
Le thème, c’est ce que vous voulez dire au fond avec votre histoire. Ça peut être une morale, une vision, un sujet controversé, une question. Tout votre roman signifie ce thème.
Voyons un exemple avec l’histoire du Petit Chaperon Rouge :
1. L’histoire
Le Petit Chaperon Rouge va chez sa mémé pour lui apporter une galette et du beurre. Elle croise un loup et lui explique où habite sa grand-mère. Ce dernier va chez la grand-mère, la mange et se déguise en elle. Il mange ensuite le Petit Chaperon Rouge, mais le chasseur entend leurs cris et les sort du bide du loup en l’ouvrant en deux (pour d’autres résumés de contes qui ont enchanté votre enfance, n’hésitez pas).
2. Voir au-delà de l’histoire
Vous connaissez cette histoire par cœur, à tel point que vous ne vous rendez même plus compte qu’elle n’a aucun sens :
Déjà, la meuf s’appelle par son vêtement. Comme si je m’appelais Gilet-jogging.
Ensuite, elle pourrait apporter un sac de courses de première nécessité, genre des pâtes, des légumes et du PQ à sa mémé, mais elle lui apporte une galette et du beurre. (Seul un Breton peut survivre à un tel régime).
Passons sur le fait qu’un loup parle, ne trouvez-vous pas qu’ il se donne bien du mal pour manger la gamine qu’il aurait pu manger directement ? Est-ce une métaphore de la salade de betterave qu’on est obligé de se farcir chez mamie si on veut du gâteau au dessert ? Le mystère reste entier.
Ensuite, pour ouvrir la porte, il faut dire « tire la chevillette et la bobinette cherra ». Outre l’emploi WTF du verbe choir (qui correspond néanmoins au sujet de l’article, que j’aurais pu intituler « Pratique ces méthodes d’écriture et ton histoire cherra »), regardez ce qu’est une chevillette permettant la chute d’une bobinette :
Oui, oui, vous avez bien vu : c’est un mécanisme tout pourri. Quand j’étais petite, j’imaginais un truc hyper savant comme dans les Incredible Machine où une ficelle embarquait une bouilloire dont la vapeur faisait fuir un chat qui bousculait une balle. À ce niveau, mère-grand aurait pu se contenter de dire « Entrez ».
3. Comprendre le thème
Toutes ces bizarreries sont explicables par le thème. Au fond, le Petit Chaperon Rouge signifie quelque chose. Les contes sont remplis de symboles et si vous souhaitez étudier le thème, lisez-en et demandez-vous ce qu’ils veulent dire ! On les utilise depuis la nuit des temps pour éduquer les petits enfants et faire pénétrer dans leur subconscient des vérités qui demeureront à jamais dans leurs petits crânes mous. Oui, les contes de Perrault sont de la propagande ! :p
Le thème du Petit Chaperon Rouge est donc :
Il y a des hommes dangereux dans ce monde. Voici les stratégies pour ne pas te retrouver victime ou enceinte d’un de ces gars : ne traîne pas dehors, ne t’habilles pas de manière séduisante, ne leur parle pas, ne les emmène pas chez toi et ne leur révèle rien sur ta famille. File droit gamine ! (Culture du viol bonjour 🎵)
4. Comment écrire une bonne une chute qui suive le thème
Devez-vous créer votre thème avant ou après avoir créé votre histoire ? Cela, vous ne pourrez le savoir qu’en pratiquant, mais j’ai constaté 4 manières de faire :
- Décider du thème avant d’écrire : Les personnes qui font ça ont en général envie de défendre un sujet, une idée ou une vision. Le thème est ce qui compte le plus pour elles.
- Décider du thème après avoir écrit : Les personnes qui font ça ne peuvent pas se baser sur le thème pour se sentir inspirées, elles créent toute leur histoire et voient si un thème s’en dégage.
- Ne pas décider de thème : certains écrivains pratiquent leur art de manière inconsciente. Comme l’écriture créative est encore peu enseignée par rapport à d’autres arts comme la peinture, la danse ou le théâtre, surtout en France, les auteurs ont du mal à décrire leur processus et beaucoup d’auteurs se lancent sans thème (et se retrouve souvent coincés !)
- Décider du thème au cours de la création du pitch : C’est ce que je fais ! 🙂 L’auteur a une idée d’histoire et se laisse librement créer le déroulement de celle-ci, puis il se demande quel thème il aimerait traiter avec ce genre d’histoire. En résulte l’arc narratif du personnage (qui sera modifié ou non).
La chute donne le thème, que vous le vouliez ou non
Ce qu’il faut comprendre avec la chute par rapport au thème, c’est que même si vous n’avez pas décidé d’un thème, il en ressortira un quand même.
Si vous décidez que le Petit Chaperon Rouge devient amie avec le loup et lui apprend la recette de la galette au beurre, votre histoire signifie quelque chose de tout à fait différent.
Mais si la chute correspond mal ET à votre arc narratif ET à votre thème, il en ressortira une impression de flou artistique, que certains intellectuels appellent « ambiguïté » ou « liberté d’interprétation », mais qui selon moi est bien plus flou qu’artistique. (La véritable ambiguïté réside dans la création de personnages imparfaits, pas dans le flou de ce qu’il advient d’eux).
À présent qu’on a vu ce qui était important dans la création de votre chute, voyons les différents types de chutes qui laisseront votre lecteur tout ébaubi.
3. Être surprenant grâce aux retournements de situation
Je ne sais pas pour vous, mais moi j’aime par-dessus tout les retournements de situation. Le temps passant, je me disais que la littérature et le cinéma ayant exploré un grand nombre de chutes surprenantes, je finirais par me lasser, mais que nenni ! L’attrait réside désormais dans la manipulation divergente de ce concept.
Si l’on reprend l’exemple du casse-tête, il existe différentes techniques pour élaborer et complexifier un casse-tête : les cordes, les codes, les aimants, les boîtes, les labyrinthes, etc. Le créateur d’un casse-tête doit donc réfléchir à une manière originale d’aborder une technique vue et revue, il n’abandonne pas l’idée de créer un casse-tête avec des cordes ou des aimants !
Dans ma formation pour écrire un roman et dans celle pour apprendre à écrire des nouvelles, je donne plus de types de renversements de situation, mais en voici ici déjà trois :
3 types de retournements de situation pour une écrire une chute renversante
1. En fait il était mort
Le personnage était en fait mort tout le long. La difficulté réside donc dans la manière de faire croire qu’il était vivant.
2. Il n’était pas celui qu’on pensait
Le personnage était en réalité un traître, d’une espèce différente, le gentil de l’histoire…La difficulté réside donc dans la manière de faire croire que ce personnage était l’opposé de la réalité.
3. De la même famille
Untel et untel était en fait liés par des liens familiaux. Essayez de penser à des liens qu’on ne voit pas souvent. « Je suis ton père » étant à traiter avec de grosses pincettes (ça peut être intéressant si c’est sa mère qui dit ça ^^) : triplés, belle-sœur, arrière grand-mère, oncle, cousin par alliance…La difficulté réside donc dans la manière de cacher que les personnages étaient de la même famille.
3 méthodes pour employer ces retournements de manière divergente
1. Explorer différents types de personnages
Chacun de ces retournements de situation peut être envisagé pour n’importe quel personnage. Selon que l’un ou l’autre « était en fait mort » ou « n’était pas celui qu’on croyait », cela peut permettre une histoire tout à fait différente.
- Protagoniste
- Antagoniste
- Ami
- Victime
- Meurtrier
- Mentor
- Témoin
- Gardien du seuil
- Narrateur (intradiégétique évidemment)
- Destinateur…
2. But ou moyen ?
Est-ce que le but de votre histoire est de découvrir ce retournement ou ce retournement permet-il la fin ?
Prenons l’exemple du type de chute « de la même famille ». Si on découvre à la fin que l’ami du protagoniste qui l’aidait dans sa quête était en réalité son frère.
Si c’est le but :
L’histoire peut porter sur la quête du protagoniste pour retrouver son frère abandonné à la naissance. Ni l’un ni l’autre ne savaient qu’ils étaient frères et le découvrent à la fin !
Si c’est le moyen :
Le frère savait très bien qu’il était le frère et aidait le protagoniste à trouver le trésor, pour le tuer et en hériter ! Gnahahaha. Le retournement est donc aussi de type « il n’était pas celui qu’on croyait ».
3. Cause ou conséquence
Prenons le film Saw, qui utilise le retournement de situation « En fait il n’était pas mort » :
(Spoiler alert : mais en même temps, si tu ne l’as pas vu, c’est que tu n’aimes pas ce genre de films alors allons-y).
Le cadavre au milieu de la pièce était en fait le criminel, pas du tout mort. Le retournement est donc ici la cause. Pendant tout le film, on croit le bonhomme mort et le criminel a pensé sa petite séance de torture en fonction de ça.
Par contre, dans Old Boy, qui utilise le type « De la même famille » :
(Spoiler alert : idem)
Le retournement est une conséquence. Le vilainméchant a tout calculé pour que le protagoniste couche à la fin avec sa propre fille. C’est diaboliquement dégueu comme seuls les films coréens savent le faire. Pas étonnant que le chanteur coréen le plus célèbre s’appelle Psy.
À présent, voyons d’autres genres de chutes, tout aussi passionnantes et émouvantes. 🙂
4. Créer une boucle temporelle : la boucle est bouclée
Le principe de la boucle temporelle, s’il est particulièrement adaptée à la SF, ne lui est néanmoins pas réservée.
Il s’agit ici d’un principe structurelle, je ne parle donc pas forcément de voyage dans le temps.
Le principe est le suivant : La fin ramène au début.
Cela peut concerner 4 éléments :
- La situation : La situation finale ramène à la situation de départ.
- L’époque : La fin nous ramène des années en arrière (explication de l’origine par exemple).
- L’arc narratif : Le personnage change mais redevient comme avant.
- L’espace-temps : Ici on parle bien de voyage dans le temps, au cours duquel le personnage tente de modifier le passé (le début de l’histoire), mais ça ne marche pas.
1. La chute « boucle de situation »
Dans ce cas-là, je vois trois manières de procéder :
Soit vous commencez votre histoire par la scène finale (en laissant du suspense sur l’issue de cette scène) et vous déroulez l’histoire pour raconter « comment on en est arrivé là » et vous terminez par cette fameuse scène, en y ajoutant un dénouement (heureux ou malheureux).
Soit vous faites traverser à votre personnage un tas d’épreuves pour changer une situation qui ne lui convient pas, mais tous ces efforts conduisent à se retrouver à nouveau dans cette situation (en général en l’aggravant).
Soit vous placez un élément étrange au début ou un indice assez voyant et vous terminez en expliquant quelque chose qui permet de comprendre cet élément du début. Ma nouvelle Art-Coin fonctionne sur ce principe.
2. La chute « boucle d’époque »
Cette chute fonctionnera bien pour provoquer une forte émotion chez votre lecteur, en lui expliquant l’origine d’un drame, qui se situe dans le passé. C’est le principe déterministe : toute chose a une cause, rien n’arrive par pur hasard.
Le déterminisme est un ressort dramaturgique puissant, qui permet de créer des histoires qui laissent une profonde impression de sens.
Le roman policier de type « énigme » fonctionne la plupart du temps sur ce principe : à la fin, l’enquêteur⋅trice explique l’origine du meurtre. Et j’ai remarqué que plus l’origine (la cause principale) du meurtre était proche temporellement, plus l’effet était fort. Si l’on remonte trop loin, l’effet est diminué, car trop de possibilités pourraient découler de cette origine.
Par exemple, dans La mort n’est pas une fin, la cause du meurtre est l’arrivée dès le début du roman d’une nouvelle concubine dans la maison. Le lecteur peut ressentir qu’il n’y avait vraiment aucune autre issue possible.
Alors que dans La ligne noire de Grangé, l’explication des causes remonte à l’enfance du meurtrier et l’impression de causalité est moins forte (la qualité du roman est plus due à la méthode employée qu’aux raisons qui ont poussé le meurtrier à agir).
Mais ça fonctionne aussi pour d’autres genres de romans. Par exemple, les drames psychologiques, comme Rien ne s’oppose à la nuit ou Les mots pour le dire remontent dans le passé pour nous expliquer les causes de drames.
3. La chute « boucle d’arc narratif »
Vous pouvez aborder ce principe de plusieurs manières :
- Le personnage essaie de devenir meilleur, mais revient aux mauvaises habitudes.
- Quelqu’un essaie de changer un personnage, mais ses efforts restent vains.
- Une situation incroyable survient qui change le personnage, mais tout redevient comme avant. Des fleurs pour Algernon fonctionne sur ce principe.
- Le personnage traverse une évolution fabuleuse/fantastique mais parvient au terme de cette évolution à la fin. L’étrange histoire de Benjamin Button par exemple.
J’imagine qu’il y a pleins d’autres possibilités ! 🙂 Si vous en voyez d’autres, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires.
4. La chute « boucle d’espace-temps »
Vous avez toujours eu envie de comprendre les paradoxes temporels, mais ça vous fait bouillir le crâne à feu doux ? Laissez-moi vous expliquer ça :
Le voyage dans le temps est théoriquement impossible à cause de deux types de paradoxes :
- Le paradoxe du grand-père : Vous remontez le temps et vous tuez votre grand-père, vous n’avez donc pas pu naître et du coup, vous n’avez pas pu remonter dans le temps pour tuer votre grand-père. (On présuppose que vous étiez parti pour une autre raison, car c’est totalement débile de remonter le temps pour aller tuer votre ancêtre, ou alors c’est une manière originale de vous suicider).
- Le paradoxe de l’écrivain : Vous avez écrit un livre à l’âge de 40 ans. Mais comme vous trouvez que ce succès est intervenu un peu tard dans votre vie, vous remontez dans le temps pour aller donner ce livre à votre vous de 15 ans, pour qu’il fasse genre de l’avoir écrit et passer pour un génie. Votre vous feignant de 15 ans recopie ce livre. Ce livre n’a donc pas été écrit mais recopié. Du coup, qui l’a écrit ?
Apporter des solutions à ces paradoxes constitue l’un des terrains de jeu favori des écrivains de science-fiction :
Tout ce qui est arrivé est déjà arrivé
Dans L’armée des douze singes, tout ce qui se produit au début survient quand même, le voyage dans le temps étant « prévu » dans la causalité.
Le temps corrige les effets
Dans Le voyageur imprudent, Barjavel apporte cette solution. La situation d’aujourd’hui est obtenue d’une autre manière, malgré la tentative de modifier la situation d’origine.
Le multivers
C’est-à-dire : « univers multiples ». Dans Retour vers le futur, le personnage, en remontant le temps, crée une deuxième ligne temporelle qui n’affecte pas la première.
Le voyageur temporel est responsable
Une autre solution consiste à responsabiliser le voyageur, qui doit veiller à ne surtout pas interférer avec les autres. C’est un ressort très usité. Dans ma nouvelle Les maîtres du temps, les voyages dans le temps sont organisés en toute discrétion. C’est aussi le cas dans la BD Chronosquad, où les lieux de voyages sont comme des Club-meds séparés des autochtones du passé.
Essayez d’en inventer d’autres si vous aimez ce genre de challenges ! 🙂
Continuons avec les différents types de chute en examinant les fins de romans policiers.
5. Comment écrire une bonne chute de polar
La fin d’un roman policier est la clé de voûte de l’histoire : on y révèle forcément le meurtrier et cette révélation doit surprendre tout le monde.
Pour la surprise, je vous renvoie plus haut chercher des types de retournements de situation. Mais voyons maintenant de quelle manière cette révélation peut avoir lieu.
Traditionnelle : l’enquêteur⋅trice convoque l’assemblée
Typique des polars de genre « énigme », à la Agatha Christie, ambiance Cluedo. Ce genre de fin permet d’écrire un roman policier qui respecte la règle des trois unités d’Aristote, à savoir :
- Temps
- Lieu
- Action
La règle antique de l’unité de temps, c’est-à-dire « tout doit se dérouler sur une seule journée », n’est pas à respecter à la lettre. Mais il faut que ça soit sur un temps assez court, car l’enquêteur⋅trice se rend dans le lieu et doit y demeurer jusqu’à ce qu’il⋅elle ait résolu l’énigme.
Ce qui nous amène au lieu : ça doit se dérouler dans un seul endroit clos, en général une vaste demeure, avec moult possibilités de pièces, de cachettes et de personnages, puisqu’ils ont été rassemblés pour un événement spécifique, ce qui nous amène à l’action :
Le meurtre se déroule durant un événement qui a permis de rassembler tous les personnages : lecture d’un testament, fête, colloque, rassemblement familial ou amical.
Quel rapport avec la chute ? Eh bien, ces trois unités permettent un genre de chute bien spécifique : l’enquêteur⋅trice peut rassembler tout le monde dans une pièce et expliquer les faits, puisqu’il a passé la journée/le week-end a interroger tout le monde directement sur le lieu du crime.
Aventureuse : l’enquêteur fait de la voiture
Très courante dans les polars modernes, la fin de type « aventure » a mené l’enquêteur⋅trice sur les routes pour aller interroger des gens dans des cadres impressionnants, flippants ou carrément glauques.
L’enquête conduit le⋅la protagoniste à prendre sa voiture pour aller chercher des témoins et des suspects sur leurs propres lieux de vie, chez eux ou sur leur lieu de travail. Plus l’enquête avance, plus le⋅la coupable se retrouve acculé.
La révélation du meurtrier a lieu en général dans un endroit isolé et dangereux, dans lequel l’enquêteur⋅trice se retrouve menacé⋅e de mort par le meurtrier dans une bataille finale à coup de pan-pan et de course poursuite qui nécessite de grimper, de se cacher, de sauter, de tomber, bref, du mouvement.
Les Harlan Coben, Minier ou Grangé fonctionnent sur ce modèle.
Surprenante : la vérité surgit
L’enquêteur⋅trice n’est pas un pro et se retrouve tout surpris quand, en train de placer la dernière pièce du puzzle aux côtés d’un ami, il se retrouve soudain braqué par ce dernier : « T’en as mis du temps à comprendre, mais à présent tu vas mourir, hahaha. »
Ce genre de fin ne peut se produire qu’avec le type de retournement de situation : « Il n’était pas celui qu’on croyait », qui peut bien entendu être couplé avec « De la même famille » ou « Il n’était pas mort ».
La personne qui enquête fait tout en amateur, part sur une fausse piste et ne voit rien venir. Elle se retrouve à la fin seule avec la personne, dans un lieu isolé et lorsqu’elle comprend qu’en fait il s’agissait d’elle, se retrouve menacée de mort.
6. La descente aux enfers : la chute ininterrompue
Et si votre chute commençait dès le début ? Grâce à une structure narrative de type « descente aux enfers », votre protagoniste n’en finit jamais d’en finir au final.
Qu’est-ce qu’une descente aux enfers ?
La descente aux enfers suit un schéma narratif typique :
- Situation initiale
- Élément déclencheur
- Péripéties
- Climax
- Dénouement
Sauf que là où le protagoniste est le plus souvent positif et l’antagoniste négatif, que le protagoniste traverse des épreuves jusqu’à la bataille finale avec l’antagoniste et gagne à la fin, dans une descente aux enfers, le protagoniste a un arc narratif négatif et tout fonctionne à l’envers.
Le caractère du protagoniste est sans scrupules et contient l’un des éléments de la triade noire (narcissique, machiavélique ou psychopathe et je rajouterais même pervers et sadique), son but est mauvais (obtenir la gloire et la richesse au détriment de son entourage par exemple) ou condamnable moralement (dans Lolita, Humbert Humbert est un homme dont le but est de se faire aimer d’une fille de douze ans).
L’élément déclencheur n’est pas comme dans le schéma positif une situation qui va permettre au héros d’évoluer positivement, mais au contraire une tentation à laquelle il va succomber et qui va le conduire à sa perte.
Les péripéties seront des épreuves qui l’empêcheront d’accéder à son but ultime.
Le climax sera la bataille finale contre l’antagoniste (qui peut être positif ou non). Jusqu’à ce climax, il espérera gagner.
Le dénouement le perdra de l’une des manières suivantes :
- La mort (suicide, tué, condamné)
- La prison
- La sentence (autres punitions : torture, vengeance…)
- L’internement en hôpital psy
- L’errance (sdf, fantôme, zombie…)
- La damnation (Enfer, devenu mauvais, le diable, un démon…)
- L’inconscience (folie, perte de mémoire, coma, abrutissement…)
- La solitude (perte d’un être, isolement, mort de tous les autres…)
7. La dissimulation : commencer par la fin !
Le conseil que je vais vous donner ici vaut pour les amateurs de plans comme pour les écrivains instinctifs : si vous souhaitez créer une fin qui respecte les deux éléments essentiels d’une bonne chute :
- La surprise : Que ce soit pour un roman ou une nouvelle, une chute doit toujours être inattendue. Sans forcément être un retournement de situation total, il faut que le lecteur ne puisse pas se dire dès le début (ou même au milieu) : « Je sais très bien comment ça va se terminer ».
- Le sens : Comme on l’a vu dans les deux premiers points, la fin doit respecter l’arc narratif du personnage et le thème de l’histoire pour donner un sentiment d’évidence et donc de sens.
Je vous recommande de décider de votre fin avant de vous lancer dans l’écriture du premier jet. Ainsi, toute votre écriture sera guidée par l’arrivée et même si vous empruntez un tas de détours, vos choix dramatiques se feront toujours en fonction de là où vous souhaitez emmener votre personnage.
Commencer par la fin vous permettra de dissimuler vos chutes pour :
Écrire de bons polars
Plutôt que d’écrire votre histoire et d’imaginer ensuite un retournement de situation, imaginez plutôt une situation et la manière dont vous allez la dissimuler, c’est beaucoup plus facile dans ce sens-là !
Par exemple, si vous souhaitez écrire un polar, vous allez décider d’un mobile de meurtre, par exemple, pour l’argent.
Ensuite, vous vous demandez « qui tue qui ? » Imaginons que ce soit un homme qui veuille obtenir la fortune de son frère.
Vous allez songer aux obstacles possibles :
- Le reste de la famille : si les enfants, conjoint et parents sont vivants, ce sont eux qui toucheront l’argent en premier (en tout cas dans la législation française).
- L’évidence : s’il est le légataire de la fortune, il sera suspecté en premier.
Il vous faudra alors imaginer de quelle manière il pourrait procéder pour qu’il soit le légataire ET qu’on ne le suspecte pas.
Par exemple en commençant par organiser le transfert de la fortune dans une entreprise commune (le plan peut être organisé bien à l’avance). Ou encore éliminer tous les membres de la famille avant (d’une manière qui semble accidentelle et logique)…
Ce n’est pas facile, mais c’est un jeu mental possible, alors que décider d’un meurtrier à la fin de l’écriture relève quasiment de l’impossible !
Et cette technique n’est pas seulement pour les polars :
Écrire des fins évidentes
Imaginez que vous souhaitiez écrire une romance, dans laquelle le protagoniste se met finalement en couple avec une fille différente de la norme sexiste (jolie, mince, moyennement riche, moyennement intelligente, souriante, polie, blablablaaaaa). Vous pourriez déjà imaginer cette fille : elle est grosse, puissante/riche, surdouée et hyper grossière, elle fume et elle a des piercings.
De quelle manière pourrait-on être surpris tout en ressentant une évidence ? Peut-être pourrait-on placer cette femme dans sa vie dès le début, sous la forme d’une amie ou au contraire d’une métamorphe (on croit qu’elle est son ennemie, mais en fait non). Et le type de retournement de situation est « Elle n’était pas celle qu’on croyait »…
L’arc narratif du personnage sera sûrement de passer de type macho/lambda à quelqu’un de plus ouvert, mais aussi de plus heureux, car répondant à sa véritable personnalité au lieu de chercher à répondre à la norme.
8. Le dénouement : Honorer toutes les promesses
On ne peut pas traiter de la chute sans parler du dénouement et de tous ses aspects. Alors, comment écrire une bonne chute finale et honorer toutes les promesses ?
Quelle est la différence entre la chute et le dénouement ?
La chute est la situation finale, quand le dénouement est la clôture de tous les arcs narratifs avec une potentielle ouverture sur l’avenir.
La chute peut être une révélation, la victoire sur l’antagoniste, la perdition (dans le cas d’une descente aux enfers) ou encore la découverte du meurtrier.
Le dénouement sert à ne pas laisser le lecteur sur sa faim, par rapport à tout ce qui a été abordé (promesses) depuis le début de l’histoire. C’est parfois délicat de savoir quels arcs narratifs doivent être clos et à quel moment. Parfois, vous pourrez les clore avant la fin, mais la plupart seront fermés après la chute.
Alors comment clore les arcs narratifs ?
En récompensant un allié
J’ai regardé dernièrement une série (excellente) Astrid et Raphaëlle. Dans le premier épisode, Raphaëlle, l’enquêtrice, fait appel à un homme autiste asperger passionné de trains et d’informatique pour lui demander de hacker l’ordinateur d’un suspect. C’est en partie grâce à ça qu’elle parvient à coincer le meurtrier. Il se passe plein de choses à part ça et le meurtrier est arrêté.
À la toute fin, comme dans un épilogue, on voit l’homme autiste ouvrir une lettre que Raphaëlle lui a envoyé, elle contient un billet pour prendre l’Orient-Express. C’est très émouvant de le voir heureux prendre ce train de légende. On aurait pu l’oublier complètement cet homme, mais le scénario a honoré une promesse qui a été faite : quelqu’un qui apporte son aide mérite récompense.
En punissant un gardien du seuil
Les gardiens du seuil sont à l’antagoniste ce que les alliés sont au protagoniste : des empêcheurs de tourner en rond. Que l’antagoniste les connaisse ou non, les gardiens du seuil ont bien cassé les bonbons du protagoniste durant les péripéties pour accéder à son but.
Il ne faut pas oublier de leur donner leur monnaie de leur pièce, en les punissant à la mesure de leur nuisance. Il ne faut pas être trop sévère : on ne tue pas si la personne n’a pas tué et toujours veiller à être moralement juste. Par exemple, quelqu’un de plus malade que méchant sera pris en charge plutôt que mis en prison.
En leur apportant l’amour
Les personnages secondaires sont toujours contents de trouver chaussure à leur pied, surtout s’ils étaient du genre seul et malheureux. Je recommande tout de même d’élargir votre palette en matière d’ouverture d’esprit à ce sujet. Tout le monde n’a pas à se mettre en couple hétéro avec un gendre idéal.
En offrant le succès
Donnez aux personnages une résolution qui leur apportera satisfaction concernant leur caractéristique principale. Le lycéen aura son bac, le joueur de go devient champion du monde, le chien trouvera son maître et l’orphelin son parent adoptif.
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Sophie, la Contentologue, vous apprend à écrire et à vivre de vos écrits. Articles, livres, romans, pages de vente : découvrez comment rédiger et devenir un pro de la plume !
Oh, merci pour cet article ! Il est très bien imagé ! J’ai beaucoup aimé la comparaison avec les Pokémon. Visuellement, cette idée est géniale ! =D Sois bénie Sophie.
Merci , Merci, 3 écritures de fin de roman et …. que des impressions bofs… grâce à cet article , j’entrevois une structure pour mon texte et retrouve l’envie et le plaisir de retourner à mes pages. Encore 1000 mercis. Je reste sur mon idée de boucle espace-temps et sais à présent que je vais parvenir à mon point final..
Bonsoir Sophie, et merci!! enfin un article qui m’a permis de voir clair et d’avancer sur cette bête noire qu’est la fin d’un bouquin. Je ramais, mais plus maintenant!
Bon courage à vous et merci de prendre le temps de partager ce vous faites.
Pauline
Merci Sophie pour cet excellent article, hyper complet. Il va m’aider à trouver la chute adéquate pour mon ébauche de roman (je pense que je vais, pour la thématique, partir du « pitch »), vraiment, un grand MERCI. Bisous.
Merci beaucoup Béatrice 🙂 Bisous !!
Coucou, bon article bien complet et intéressant pour moi. Merci beaucoup
Merci !
Un grand merci pour cet article, je retiens l’idée de créer la fin du thriller que j’ai entrepris d’écrire, pour effectivement pouvoir savoir dans quelle direction aller et avec qui.
Merci Gilles ! 🙂
Merci pour cet excellent article ! Mention spéciale à Carapuce, très bon exemple d’arc narratif 😀
Merci Sandrine, sombre destin que celui de ce pokémon n’est-ce pas ?
Merci pour tes explications imagées, claires et si amusantes. Elles me motivent pour continuer l’amélioration de mon roman. J’y retourne pour récompenser les alliés et les personnages secondaires oubliés, et punir les gardiens du seuil. Continues à nous amuser et nous former Sophie.
Merci beaucoup Alex 🙂 J’y compte bien !
Génial ! Je n’avais pas forcément l’envie d’écrire en ce môment, mais de lire cet article m’a donné de l’inspiration et une irrésistible envie d’inventer une histoire….
Merci à toi !
Cool ! Merci 🙂
Merci pour les conseils, j’ ai envie de lire et relire l’ article, Bravo.
Merci Sylvie 🙂
bravo pour cet exposé très complet, très poussé et pour l’humour! Merci de nous donner tes « trucs », c’est toujours un plaisir. Paradoxalement, ces articles ont tendance à m’empêcher d’écrire parce que j’attends le prochain pour écrire le texte parfait, tout en me disant que je n’arriverais jamais à mettre tout ça en pratique. mais je sais qu’à force tout cela mûrira dans ma tête et que j’arrêterai de me mettre des freins, et ce, grâce à toi!
Coucou Cath,
Merci pour ton commentaire. 🙂 Je n’ai pas attendu de savoir quoi que ce soit sur l’écriture pour écrire. Pratique toi aussi en faisant tes propres erreurs. Il y aura toujours des choses à apprendre en plus. On ne peut pas « tout connaître » avant de s’y mettre, on s’améliore simplement.
Super article! Merci!
Merci Isabelle 🙂
Merci pour cet article très complet !
Merci ! 🙂