Écrire Comme un Maître : Leçons de Style avec Boileau


Lui, c’est Nicolas Boileau. Il vient de recevoir la première impression de L’Art Poétique et se fait immortaliser vous montrant du doigt le fameux vers Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément, semblant nous intimer, de manière amicale, mais ferme, de suivre ses conseils avisés dans ce poème didactique en quatre chants.
À l’époque, nous sommes en 1674, on ne pouvait pas taper dans ChatGPT ou Google « comment écrire un livre« , on se désespérait d’atteindre les sommets du Parnasse en lisant et relisant La poétique d’Aristote, y recherchant les secrets qui mèneraient au génie littéraire.
Mais arriva Boileau et son Art Poétique : en quatre chants, avec pédagogie et humour, il fit tourner la tête d’Anne-Clotilde de Monmachin (la très lointaine ancêtre d’Anne-Clotilde que vous connaissez bien) en lui dévoilant les arcanes du succès littéraire.
Nous donne-t-il des techniques d’écriture ? Pas vraiment. Cela, il le fera plutôt dans sa traduction du Traité du sublime.
Ici, Boileau se veut fondateur de la pédagogie d’écriture, fixant pour l’éternité une manière classique de faire, de voir, de désirer, et surtout, de pratiquer, pour le poète ou l’écrivain. Je le considère moi-même comme le guide ultime du bien-écrire et nombre de conseils que je prodigue dans mes formations, ateliers, articles ne sont, somme toute, que des remâchés de Sieur Boileau.
Ici, je ne vais traiter que du premier chant, car le poème fait tout de même 1100 vers, et bien que j’aime vous torturer, je respecte votre précieux temps (et le mien).
J’analyse les vers de ce poème, à la fois en vous les résumant et en y ajoutant ma touche. Comme Boileau s’adresse avant tout au poète, mais que je place la poésie avant la littérature — parce que tout ce qui est vrai pour la poésie, se révèle vrai pour la littérature —, j’adapte ces conseils à l’écrivain de fiction que vous êtes certainement (les aspirant poètes se faisant rares, à mon grand désespoir) :
On commence ? Apprenons à écrire avec le CHANT I de L’Art Poétique de Boileau !
C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur :
S’il ne sent point du ciel l’influence secrète,
Si son astre en naissant ne l’a formé poëte,
Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

Apollon et Pégase
Ici, Boileau ne vous dit pas que votre naissance sous les mauvais astres vous empêche d’être poète. Non, il vous indique simplement à qui ce poème s’adresse, en agitant un peu vos peurs. Le téméraire auteur captif dans son génie étroit (si vous ne faites pas ce qu’il dit), c’est vous, c’est moi, c’est Anne-Clotilde, c’est nous. (En passant, Phébus, c’est Apollon, dieu de la poésie et Pégase représente l’art et la beauté.)
Ô vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer :
Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.
Vous pensez qu’écrire en rime fait de vous un poète ? Fuyez la facilité : creusez-vous la cervelle et produisez des efforts. De même pour l’écrivain de roman. Ne recherchez pas la petite astuce pour écrire facilement. Bien écrire nécessite du temps et de l’acharnement.
La nature, fertile en esprits excellens,
Sait entre les auteurs partager les talens :
L’un peut tracer en vers une amoureuse flamme ;
L’autre d’un trait plaisant aiguiser l’épigramme :
Malherbe d’un héros peut vanter les exploits ;
Racan chanter Philis, les bergers et les bois :
Trouvez votre propre style, en cherchant dans quoi vous êtes bons. Certains excellent dans le suspense, d’autres parviennent à créer des univers. Qu’aimez-vous lire et que vous amuse-t-il le plus d’écrire ? Souvent l’esprit reconnaît ce qu’il aime en envoyant des décharges d’endorphine lorsque vous le faites. La joie de faire est un excellent indicateur.
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime
Méconnoît son génie, et s’ignore soi-même :
Ainsi tel, autrefois qu’on vit avec Faret
Charbonner de ses vers les murs d’un cabaret,
S’en va, mal à propos, d’une voix insolente,
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et, poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

Nicolas Faret
Ne faites pas comme Faret. Il était bon dans le vers léger et passait sa vie au cabaret à écrire sur les murs. Sous l’effet de l’alcool et des compliments prodigués par ses « alcoolytes », il lui vint ce que l’on pourrait appeler « un giga melon » et se mit en tête d’écrire l’Exode. Apparemment, selon Boileau (mais pas pour d’autres, précisons-le), il s’est tellement perdu dans ce genre qui ne lui correspondait pas qu’il s’en est noyé (avec Pharaon dans la mer rouge ouverte et refermée précédemment par Moïse, oui Boileau est rigolo).
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.
Réfléchissez au sens de vos écrits. Ne vous précipitez pas sur les mots comme le consommateur chez Action. Moins c’est cher, plus c’est de mauvaise qualité. Utilisez des dicos des synonymes, des champs lexicaux. Je possède personnellement cet excellent dictionnaire des analogies. On cherche le mot qui correspond vraiment et si on le trouve, la phrase ou le vers se construit plus naturellement. Le sens échappe aux mots trouvés trop facilement.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiroient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensoient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
Chercher l’originalité et la bizarrerie pour sortir du lot n’a pas de sens. La cohérence est la clé. Croire que l’on s’abaisse lorsqu’on écrit ce que d’autres ont déjà dit est la pire des manières d’envisager l’écriture : c’est en cherchant au coeur du sens qu’on trouvera peut-être ce que l’on a à dire de spécifique concernant ce sujet. S’en éloigner juste pour sortir des sentiers battus vous mène droit à l’écriture médiocre.
Évitons ces excès : laissons à l’Italie
De tous ces faux brillans l’éclatante folie.
Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir ;
Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt on se noie :
La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.
Un auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet.
S’il rencontre un palais, il m’en dépeint la face ;
Il me promène après de terrasse en terrasse ;
Ici s’offre un perron ; là règne un corridor ;
Là ce balcon s’enferme en un balustre d’or.
Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;
« Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales. »
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile,
Et ne vous chargez point d’un détail inutile.
Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ;
L’esprit rassasié le rejette à l’instant :
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire :
Un vers étoit trop foible, et vous le rendez dur ;
J’évite d’être long, et je deviens obscur ;
L’un n’est point trop fardé, mais sa muse est trop nue ;
L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
N’en mettez pas partout : descriptions ou dialogues à rallonge, passion d’un sujet qui ne passionne que vous et quelques geeks, soyez brefs quand la narration l’exige. Le lecteur veut avant tout en venir au fait. Que l’histoire avance que diable ! Hue ! Hue ! Pourquoi les auteurs font cela ? Parce qu’on tente de déguiser une peur en tartinant autre chose par-dessus, afin que ça ne se voie pas (alors que, bon, euh, ça se voit). Certains craignent de faire prendre une décision radicale à leur personnage : qu’à cela ne tienne, je vais parler de ses rêves et de ses regrets encore une fois dans ce long paragraphe psychologisant. D’autres fuient les mouvements, comme si le lecteur risquait d’éclater de rire en voyant bouger son personnage et voilà qu’il reste debout, planté là, à observer la scène qui se passe devant lui sans y participer.
Voulez-vous du public mériter les amours ?
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.
Heureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d’acheteurs.

Chez le libraire Barbin
Variez le ton, le rythme, la longueur des chapitres, des paragraphes et des phrases (et des mots). Il y a des moments pour être analytique, d’autres pour être drôle, des instants profonds et d’autres légers. Permettez à vos lecteurs de respirer. L’écrivain morne est lourd : on arrête de le lire au bout de dix lignes. Alternez dialogues, actions prenantes, descriptions, dialogues et pensées ! Que les aphorismes ponctuent votre prose. Vos personnages sont tous « graves et importants et sombres et profonds » ? Lourd ! Votre héros ne rit jamais ? Qu’il pète un coup !
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté
Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté.
On ne vit plus en vers que pointes triviales ;
Le Parnasse parla le langage des halles ;
La licence à rimer alors n’eut plus de frein ;
Apollon travesti devint un Tabarin.
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes.
Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs ;
Et, jusqu’à d’Assouci, tout trouva des lecteurs.
Mais de ce style enfin la cour désabusée
Dédaigna de ces vers l’extravagance aisée,
Distingua le naïf du plat et du bouffon,
Et laissa la province admirer le Typhon.
Que ce style jamais ne souille votre ouvrage.
Imitons de Marot l’élégant badinage,
Et laissons le burlesque aux plaisans du Pont-Neuf.
Personne ne vous demande de rédiger avec un style ampoulé, ni d’étirer vos phrases sur des kilomètres et encore moins d’utiliser un style et un jargon que clairement vous ne maîtrisez pas. Par contre, mes chéris, par contre, et là, je vais me fâcher tout rouge, il n’est pas acceptable de faire des phrases syntaxiquement mauvaises, de ne pas corriger l’orthographe ou la ponctuation, d’utiliser un langage vulgaire ou parlé qui n’a rien à faire là et surtout : internet est là pour pallier à votre manque de vocabulaire, alors par pitié, utilisez un dico des synonymes. Un dico des synonymes. Un dico des synonyyyyymes.
Petit test pour voir si vous suivez :
Vous devez souvent utiliser :
- Réponse A : Des adverbes hyper longs comme anticonstitutionnellement
- Réponse B : Des guillemets partout pour faire joli
- Réponse C : Un dico des synonymes
C’était la réponse C. Vous aviez trouvé ? Bravo, vous avez démontré que vous saviez lire et par extension, que vous aviez la capacité d’utiliser un dico des synonymes. On passe à la suite.
Mais n’allez point aussi, sur les pas de Brébeuf,
Même en une Pharsale, entasser sur les rives
« De morts et de mourans cent montagnes plaintives. »
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

George de Brébeuf
George de Brébeuf a traduit La Pharsale de Lucain en y mettant de l’emphase partout. Le vers cité dans le poème, par exemple : excelsos cumulis aequantia colles corpora qui signifie Des corps qui, par leurs tas, égalent de hautes collines a été traduit par « De morts et de mourans cent montagnes plaintives. »
Quelques règles pour éviter la surenchère dans vos écrits :
- Les accumulations, épithètes, pléonasmes, redondances : Je me sentais malade, affaibli, diminué. Je me dépêchai de monter quatre à quatre en haut des escaliers.
- Les adverbes partout : Elle était terriblement et incroyablement satisfaite d’elle-même, ne regrettant aucunement son passé vraiment sombre.
- Les périphrases inutiles : Il était vraiment très grand (c’était un géant ou il était immense)
- L’emphase : Désespéré, il contempla le vide abyssal qui le séparait d’une mort tragique. Mille sentiments et mille pensées fatales l’assaillirent.
N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère :
Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots,
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
Il est un heureux choix de mots harmonieux,
Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée.
Vous êtes atteint d’anendophasie ? Relisez vos textes à haute voix et écoutez si ça écorche l’oreille (déjà, rien qu’en relisant, si vous butez constamment sur les mots, c’est sûrement mal agencé). Évitez de faire suivre une voyelle d’une voyelle, faites couler vos mots. Et rythmez votre texte. Vous devez le sentir : quand une longue phrase contenant de longs mots est suivie d’une autre longue phrase contenant de longs mots, le texte semble en surpoids.
Une technique pour avaler un bon style est de l’écouter en audio. L’écoute a un effet sur le cerveau que l’œil ne parvient pas à atteindre. C’est pourquoi j’ai créé ces audios d’autohypnose pour écrivains.
Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisoit toutes les lois.
La rime, au bout des mots assemblés sans mesure,
Tenoit lieu d’ornemens, de nombre et de césure.
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.
Marot bientôt après fit fleurir les ballades ;
Tourna des triolets, rima des mascarades,
À des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en françois parlant grec et latin,
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poëte orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.
Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.
Aux touts débuts de la poésie, les poètes faisaient comme il leur plaisait. Ils mettaient parfois des rimes pour montrer la fin du vers, mais ils ne comptaient ni les pieds, ni ne composaient en suivant un rythme.
Voyez par exemple, ce passage du Roman de la Rose (XIIIᵉ siècle), immense succès de l’époque :
Maintes gens dient que en songe (Beaucoup de gens disent que dans les rêves)
N’a se fables non et mençonges ; (il n’y a que fables et mensonges)
Mais l’en puet tieus songes songier (mais on peut faire des rêves)
Qui ne sunt mie mençongier. (qui ne sont pas du tout mensongers.)
Les vers n’ont pas la même longueur, le rythme est irrégulier, les rimes sont de types AA,BB,AA,BB, il n’y a aucune forme vraiment pensée. De plus, le poète n’y parle pas de lui, ce sont des vers « généralistes ».
Et maintenant, regardez ces vers de Villon, extrait de Ballade des pendus :
Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Ici, on peut lire une voix humaine (il parle de ses sentiments) Le rythme est plus régulier, il y a une forme réfléchie (ABAB).

Francois Villon
Même chose avec Marot, voici un extrait du rondeau (petit poème à forme fixe) Dedans Paris :
Dedans Paris, une fillette
Craignant ses pas être mouillés,
Sous un ombrelle s’allait mettre,
Et disait qu’il serait mouillé
Dedans Paris.
Légèreté, fluidité, on a un refrain, une forme tournée vers la musicalité, avec une langue propre, claire, élégante, rythmée.
Plus tard, Ronsard (jeune) produisit des vers chantant, simples, lyriques que Boileau vante, pour ensuite critiquer son évolution pédante. Je vous laisse vous faire votre avis :
Jeune Ronsard :
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Vieux Ronsard :
J’allais après la danse et craintif je pressais
Mes pas dedans le trac des Nymphes, et pensais,
Que pour mettre mon pied en leur trace poudreuse
J’aurais incontinent l’âme plus généreuse,
Ainsi que l’Ascréan qui gravement sonna
Quand l’une des neuf Sœurs du laurier lui donna.
Or je ne fus trompé de ma jeune entreprise,
Car la gentille Euterpe ayant ma dextre prise,
Pour m’ôter le mortel par neuf fois me lava
De l’eau d’une fontaine où peu de monde va,
Me charma par neuf fois…
Vous comprendrez pourquoi Boileau (toujours maniant l’ironie, on rappelle qu’il était à l’origine auteur de Satires), dit que sa muse « parle grec et latin ».

Pierre de Ronsard
Il fut vivement critiqué à la fin de son oeuvre et c’est pourquoi Desportes et Bertaut choisirent de suivre un autre chemin. Mais je ne vais pas m’étaler avec des extraits de tous les poètes de la Renaissance, et finirai par vous montrer un extrait de Malherbe, un court passage de Consolation à M. du Périer sur la mort de sa fille :
Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin ;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
Sens, rythme, simplicité, beauté : voici pourquoi Boileau le considère comme le premier grand poète français.

François de Malherbe
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre ;
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le sauroit percer.
Avant donc que d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Sachez toujours ce que vous voulez dire. Parfois, il faut faire ce travail avant : trouver un thème à développer par exemple. Parfois, il faut le faire pendant. « Qu’est-ce que je veux dire au fond ici ? » Approfondissez votre pensée. Je vous aide à le faire dans cet article, mais aussi dans Mon Carnet Créatif : 300 exercices de créativité.
Et enfin, en se relisant avec un peu de recul, après. Vos personnages sont flous, vos actions bizarres, vous sentez que ça ne va nulle part ? Il est possible que vous n’ayez aucune maîtrise sur la signification des actes de vos personnages. Un arc narratif a un sens : si vous faites mourir votre personnage pour aucune raison (ou pour une mauvaise), le texte devient bancal. Le personnage prend des décisions ou dit des choses qui semblent sorties de nulle part, comme un lapin d’un chapeau ? Réfléchissez. Vous en êtes capable : vous le faites constamment pour juger les autres de leurs actes. Jugez les actes de vos fichus personnages.
Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux :
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin,
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
On revient sur la langue. Corrigez vos textes : Antidote, Bonpatron, les IA… Les outils ne manquent pas.
Voici un extrait du célèbre passage de la madeleine de Proust (divin écrivain, même si ce n’est pas ma tasse de thé, huhu) :
Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause.
Version méchant écrivain :
La journée que j’ai eue m’avait fatigué et je pensais à la journée difficile aussi que j’allais avoir, le lendemain jeudi. J’ai regardé le thé et j’ai pris la tasse et bus le thé où est-ce-que j’avais trempé la madeleine. Mais dès que j’ai ressenti le mélange de la madeleine avec le thé dans ma bouche, je ressens quelque chose de vraiment étrange et mystérieux et je n’aurais vraiment pas su dire c’est quoi. Dans tous les cas, je ressentais un bouleversement. C’était vraiment hyper agréable comme sentiment.
La pensée de fond est la même, mais le mec a l’air complètement débile et de ce fait, son texte aussi.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse.
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit, que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Comment écrire un roman en 10 jours ?
Devenir écrivain rapidement.
Écrire facilement et vite.
Vous reconnaissez ces phrases ? C’est celles que vous tapez dans Google et qui vous ont fait arriver sur mon site.
Vous enviez les génies qui écrivent à la vitesse de l’éclair ? Devenez un génie. En attendant, Boileau vous conseille de lever le pied et de travailler avec assiduité, plutôt qu’en vous pressant.
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Vous avez écrit un premier jet ? Super. Il est non publiable en l’état. Réécrivez maintenant. Relisez, réécrivez, relisez. Respirez, prenez du recul. Revenez. Relisez. Réécrivez.

Ce que l’on conçoit bien
C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent.
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin répondent au milieu ;
Que d’un art délicat les pièces assorties
N’y forment qu’un seul tout de diverses parties,
Que jamais du sujet le discours s’écartant
N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Imaginons que vous ayez écrit un mauvais livre. Tout est à refaire. Les personnages sont creux, l’histoire n’a ni queue ni tête, la fin n’a aucun sens… Ce n’est pas si grave et j’ai même envie de dire, si vous n’avez pas envie de tout réécrire depuis le début : au suivant, qui sera sûrement meilleur, fort de ce premier échec. Mais voilà qu’il vous prend de l’améliorer un peu pour qu’il passe. Mettre des aphorismes ici, une description par là, changer l’incipit, etc.
Comment vous expliquer… Ah je sais.
Nous allons prendre, pour comparer, un autre exemple d‘ouvrage qui nécessite du temps et a besoin d’être pensé correctement afin de fonctionner : une fusée. Vous avez construit une fusée qui est si mal goupillée qu’elle va exploser et tuer tous les occupants dès le décollage. Il y a bien une forme de fusée et on sent derrière l’envie de fusée, mais il s’agirait plutôt d’une bombe, voilà. Une sorte d’attentat programmé, plutôt qu’un véhicule merveilleux pour voyager dans les étoiles. Et là, vous vient l’idée d’arranger un peu la fusée, pour qu’elle n’explose pas. Au travail ! Vous allez y ajouter des hublots, la repeindre en rouge et blanc et rendre le cockpit plus pointu.
Vous avez compris l’analogie ? Un mauvais bouquin ne se transforme pas en bon avec quelques artifices. Envie d’écrire un bon roman ? C’est par ici.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique.
L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer ;
Qu’ils soient de vos écrits les confidens sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur ;
Mais sachez de l’ami discerner le flatteur.
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue.
Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier :
Chaque vers qu’il entend le fait extasier.
Tout est charmant, divin : aucun mot ne le blesse ;
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ;
Il vous comble partout d’éloges fastueux.
La vérité n’a point cet air impétueux.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne point les endroits négligés,
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l’ambitieuse emphase ;
Ici le sens le choque, et plus loin c’est la phrase.
Votre construction semble un peu s’obscurcir :
Ce terme est équivoque : il le faut éclaircir.
C’est ainsi que vous parle un ami véritable.
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable
À les protéger tous se croit intéressé,
Et d’abord prend en main le droit de l’offensé.
« De ce vers, direz-vous, l’expression est basse.
— Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d’abord. — Ce mot me semble froid,
Je le retrancherois. — C’est le plus bel endroit !
— Ce tour ne me plaît pas. — Tout le monde l’admire.
Ainsi toujours constant à ne se point dédire,
Qu’un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser.
C’est un titre chez lui pour ne point l’effacer :
Cependant, à l’entendre, il chérit la critique :
Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique
Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N’est rien qu’un piège adroit pour vous les réciter.
Aussitôt il vous quitte ; et, content de sa muse.
S’en va chercher ailleurs quelque fat qu’il abuse ;
Car souvent il en trouve : ainsi qu’en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs ;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L’ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans ;
Et, pour finir enfin par un trait de satire.
Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.
Personne n’a envie d’être hué après avoir publié un livre. Pour cela, il vous faudra des critiques en amont. Des bêta-lecteurs qui ne sont pas votre mère qui vous trouve merveilleux en tout. Un bon critique ne vous flatte pas. Mais il ne cherche pas non plus à vous blesser. Il vous indique clairement les passages ou les éléments qui le gênent ou l’ennuient. Cherchez des critiques et ne les fuyez pas. La flatterie est agréable à court terme, mais elle ne fait que nourrir votre égo, le gonflant comme ballon à l’hélium. La chute sera dure, car la descente d’égo est toujours brutale.
Un secret que je vous délivre pour terminer : ne cherchez pas à être aimé, cherchez plutôt à produire du bon travail. Comme un artisan qui fabrique un meuble ou une tapisserie. Si vous cherchez par l’écriture à combler une faille narcissique, ça ne marchera jamais. La reconnaissance arrive à qui a travaillé dur, pas à qui cherche trop la reconnaissance. Il arrive que des écrivains talentueux recherchent cela et bientôt, leur génie disparaît, leurs oeuvres du début étaient pleines de désir de plaire. Les œuvres de la fin, sont là comme des shoots d’héroïne pour tenter de récupérer des miettes d’égo : fades, sans saveur.
Cet article est terminé ! Vous avez aimé le chant I de L’Art Poétique ? N’hésitez pas à découvrir les 3 autres chants et les conseils avisés que Boileau continue d’y dispenser…
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Qu’on relit à l’envi quand se perd le courage.

Sophie, la Contentologue, vous apprend à écrire et à vivre de vos écrits. Articles, livres, romans, pages de vente : découvrez comment rédiger et devenir un pro de la plume !

Ton article m’a plu. Tu as su bien traduire
Les propos de Boileau, sans jamais les trahir.
Merci de partager cette leçon de style.
Mêlant humour, bon sens, de manière subtile,
Tu dissèques, tu expliques, pour le plus grand plaisir
Et l’envie d’avancer, d’auteurs en devenir.
« On n’apprend jamais trop… », oui, c’est une évidence.
Il n’est jamais trop tard, pour entrer dans la dance
des stylos sur la feuille, des appuis sur les touches,
Trouver l’idée, le ton, la phrase qui fait mouche.
Je vais donc partager ton article et je gage
qu’il contribuera à lever des blocages 😉
Merci pour ces mots, chère Pascale-Esther
Je suis ravie de lire ce super commentaire 🙂
🙂
Oups ! J’ai écrit à l’anglaise : « Dance » au lieu de « Danse ».
Relecture trop rapide : la prochaine fois, prudence ! 😉